September 21, 2022

Vous avez récemment participé à un podcast et vous vous interrogez sur les usages qui pourraient être faits de l’enregistrement ?

Benjamin Mourot, avocat spécialisé en Propriété Intellectuelle et Nouvelles Technologies associé au cabinet Bignon Lebray à Lille, nous explique comment la loi française vous protège contre toute utilisation pernicieuse de votre voix.

Mais avant toute chose, il reste un détail à régler…

« Je donne mon consentement à ce que vous réutilisiez ma voix et le contenu de tout ce que je raconte ».

Cette phrase enregistrée, nous avons le consentement explicite et éclairé de Benjamin pour citer ses propos. L’entretien peut commencer.

Commençons par le début. Benjamin, juridiquement, qu’est-ce qu’une voix ?

« La voix, c’est deux choses. C’est d’abord un élément qui ressort de la personnalité d’une personne. Elle permet d’individualiser quelqu’un. Ensuite, la voix est un vecteur d’idées, autrement dit la manière dont on formalise les idées. »

Selon le droit français, par quels principes est protégée une voix ?

« Le droit à l’image, le droit à la vie privée, le droit à la voix font partie d’un pool de droits qu’on identifie comme le droit à la personnalité, autrement dit les droits qui tiennent à la personne. Au même titre que l’image et que la vie privée, le droit à la voix est protégé par l’article 9 du Code Civil qui dit que chacun a droit au respect de sa vie privée. C’est sur ce fondement là que sont condamnés les paparazzis, par exemple.

Et puis en tant que vecteur qui sert à faire passer des idées qui seront matérialisées dans un discours, la voix est protégeable au titre du droit d’auteur. On ne peut pas faire n’importe quoi avec la voix d’un tiers, que ça soit une personne privée ou une personne publique.

Par exemple, il y a des mythes urbains qui circulent, qui viennent dire qu’une personne dont le métier est de vendre son image n’est plus propriétaire de son image. C’est faux. L’enregistrement phonique d’une voix, quel qu’il soit, est protégeable. Il est interdit de prendre la photo de quelqu’un ou enregistrer sa voix sans son consentement.

Enregistrer quelqu’un à son insu, c’est aussi parfois violer la correspondance. On ne peut pas faire des écoutes téléphoniques sans autorisation judiciaire, c’est de la violation du secret des correspondances. On ne peut pas non plus enregistrer un client qui appelle un service client sans l’aviser que sa conversation peut être enregistrée.

Enfin, la CNIL a confirmé elle aussi qu’une voix est une donnée à caractère personnel puisqu’elle permet d’individualiser et de reconnaître son propriétaire. A partir de là, c’est une donnée à caractère personnel et toutes les données à caractère personnel entrent dans le RGPD et nécessitent consentement explicite, bases légales, encadrement… Toute exploitation d’un élément de la personnalité de quelqu’un doit faire l’objet d’une autorisation et d’un cadrage. »

Face à quels risques est protégée une voix ?

Le plus célèbre exemple d’utilisation abusive de la voix d’un tiers est probablement le cas Cyril Mazzotti. En 2008, l’acteur français enregistre sa voix pour les besoins d’une société spécialisé dans la synthèse vocale, sans savoir quel usage il en sera fait. Il est alors loin de se douter que quelques années plus tard, il se retrouvera dans la poche de millions de personnes en devenant à son insu… la voix française de Siri ! Son homologue américaine, Susan Bennett, a vécu la même mésaventure. Cyril Mazzotti a lancé une procédure judiciaire contre la société qui a vendu sa voix à Apple, et Susan Bennett contre Apple… Sans résultat. Les deux comédiens ont depuis été remplacés par de nouvelles voix.

Autre exemple frappant d’exploitation et de diffusion d’une voix sans le consentement de la personne concernée : En 1980, dans l’émission de radio France Musique, sont diffusés des extraits d’enregistrements de la voix de Maria Callas… Des extraits personnels, que selon ses héritières, elle ne souhaitait pas rendre publics. Le Tribunal de Grande Instance de Paris conclura que « la voix est un attribut de la personnalité, une sorte d’« image sonore » dont la diffusion sans autorisation expresse et spéciale, est fautive ».

« Utiliser l’image de quelqu’un à d’autres fins que celles autorisées s’assimile à un défaut de consentement. Soit vous donnez votre consentement à telle finalité, soit vous ne le donnez pas. A partir du moment où on sort de la finalité pour laquelle vous avez consenti, vous n’avez pas consenti. Alors on tombe dans les travers de captation ou diffusion illégale », résume Benjamin Mourot.

L’absence de consentement est donc une infraction pénale ?

« Et à plus forte raison, vous ne pouvez pas, avec votre téléphone, prendre en photo quelqu’un que vous croisez dans la rue sans son autorisation. Capter l’image de quelqu’un sans son consentement est une infraction pénale qui vous fait risquer jusqu’à 1 an de prison. Par ailleurs, la réutilisation de cette photo et sa diffusion sans le consentement de la personne est une autre faute pénale. »

Il est donc nécessaire de bénéficier du consentement de la personne enregistrée à la fois pour la captation de la voix, et pour sa diffusion ?

« Oui, la captation c’est une chose et la réutilisation, la diffusion en est une autre. Il faut un double consentement. C’est valable pour l’image mais aussi pour la voix. Par essence, si on enregistre quelqu’un, c’est qu’il y a un intérêt à l’enregistrer, il y a toujours une présomption de diffusion quand on réalise une captation. »

De quelle manière est-il possible de recueillir le consentement d’une personne afin d’enregistrer sa voix ?

« Le consentement peut être donné de n’importe quelle manière. Le vrai problème c’est de pouvoir le prouver. Le juriste que je suis vous dira qu’il est mieux d’avoir effectivement un écrit, parce que si on doit prouver ce consentement, on le prouvera plus facilement à l’écrit en détaillant ce qui va être fait comme utilisation de la captation. D’autant plus que dans certaines matières comme les données à caractère personnel, si l’utilisation n’est pas bien renseignée, et que la personne qui fait l’objet de la captation n’est pas bien informée, elle peut retirer son consentement. C’est pourquoi il vaut mieux que ce soit écrit, pour que la personne qui donne son autorisation ait eu toutes les informations. »

Et en ce qui concerne une voix au milieu d’une foule… ?

« Si on a enregistré un bruit de fond, si vous déclenchez un micro dans la rue et qu’on n’arrive pas à reconnaître les personnes parce qu’il y a du brouhaha, ça ne pose pas de problème, exactement comme l’image de foule avec les gens qui sont de dos. »

Pendant combien de temps est-il possible d’exploiter l’image ou la voix d’une personne ?

« C’est directement rattaché au consentement de la personne et à la manière que vous avez de pouvoir le prouver. Mon conseil en tant qu’avocat est de faire écrire à quelqu’un, quand vous faites une captation, qu’il autorise la captation d’une part et la diffusion d’autre part, pendant une période de tant d’années à compter de la captation.

En tant que diffuseurs, vous avez l’obligation de respecter les durées de diffusion qu’on vous a données. Quand vous diffusez, à vous de mettre en place des structures de diffusion pour pouvoir activer ou désactiver la diffusion et supprimer tout simplement les traces à termes.

Au bout du nombre d’années indiqué, il n’y a plus de droit à l’image, donc vous n’avez plus le droit d’exploiter la captation. D’autre part, si l’individu enregistré ne vous ne l’a pas autorisé autrement et si vous ne vous en justifiez pas, vous n’avez plus le droit de détenir cet enregistrement puisque c’est de la donnée personnelle. Donc au bout du nombre d’années indiqué, la loi exige que vous supprimiez l’enregistrement si la personne y est identifiable, sauf encore à redemander le consentement. »

Quel est l’impact des nouveaux médias sur les usages de la voix et la protection qui doit lui être apportée ?

« A terme, en partant d’une captation, on pourrait faire dire n’importe quoi à une personne. Les formats, les moyens, les méthodes changent très vite, mais le droit à la voix est assez connu et assez stable. Les technologies ont multiplié les expositions. Par exemple le podcast se développe de plus en plus et se multiplie. Il tend à remplacer la radio notamment. Je pense aux Spotify et autres qui diffusent du podcast à la demande, qui nous permettent de choisir des programmes ; c’est quelque chose qui est nouveau, mais juridiquement rien ne change, ça reste une captation phonographique. À vrai dire, le droit à la voix, c’est quelque chose qui est assez visible. »

La voix semble donc bien protégée par le droit français…

« Sur la voix, 3 protections juridiques se superposent. Vous avez le droit à l’image sur la voix. Quoi que je dise, ma voix est en tant que telle est protégée. Ensuite, vous avez le droit d’auteur sur le contenu de ce que je vais déclarer : si c’est intelligent, nouveau, original, c’est protégé par le droit d’auteur. Enfin, ma voix est également protégée par le droit des données personnelles. Ces trois strates de protection se superposent.

Vous avez un volet civil, principalement avec l’article 9 du Code civil sur le droit à la personnalité, et un volet pénal sur la captation et la diffusion non autorisées.

A noter aussi que vous avez un volet contrefaçon des droits d’auteur sur la propriété intellectuelle, et un volet répressif de données personnelles, si jamais vous enregistrez quelqu’un sans prévenir ou sans recueillir son autorisation.

C’est rare qu’on ait une protection avec autant de filets de sécurité. C’est principalement parce qu’on est sur quelque chose qui touche à l’humain et à un droit de la personnalité. Votre image, tout comme votre voix, vont être protégées de la même manière. C’est une double, voire triple, quadruple même, protection. Pour être très clair, une voix est quand même très très bien protégée. »

Conclusion

Votre voix est un attribut de votre personne particulièrement bien prise en compte et protégée par le droit français. Pas d’inquiétude, vous avez peu de chance de la retrouver dans les tréfonds d’internet si vous n’avez pas donné votre autorisation pour cela. L’usage d’une voix, au même titre que l’exploitation de l’image d’une personne, est encadré par un large pan de la loi française. Renseignez-vous sur vos droits, exprimez-les, restez à l’affut de l’usage qu’il peut être fait de votre image et n’hésitez pas si besoin à faire appel à un avocat spécialiste de la question !

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